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Locations de courte durée au Sénégal : une opportunité de fraude fiscale aggravant la crise du logement

Dakar, la vibrante capitale du Sénégal, est une ville en perpétuelle évolution, où l’ancien et le nouveau se côtoient dans une harmonie parfois fragile. Au cœur de cette métropole bouillonnante, un débat émerge, soulevant des questions cruciales concernant la location de courte durée, notamment via des plateformes telles qu’Airbnb, Booking etc. Entre la crise du logement qui étouffe les aspirations des habitants et les manques à gagner fiscaux pour l’État, une réflexion approfondie s’impose.

La Crise du Logement 

Le Sénégal, comme de nombreux pays en développement, fait face à une crise du logement qui entrave le bien-être de sa population. Les loyers exorbitants et la pénurie de logements abordables plongent de nombreux ménages dans une précarité quotidienne.

Le Sénégal enregistre un déficit de logements estimé à plus de 300.000 unités avec une augmentation annuelle de 22 000 unités selon les estimations du de ministre de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement des Territoires. Ceci est le résultat de la croissance démographique, d’une urbanisation rapide et de la difficulté à mettre en œuvre des programmes de production de logement abordable digne et durable, en particulier pour des bénéficiaires sociaux et économiques, travailleurs du secteur informel aux revenus modestes et irréguliers.

La production de logements est estimée à 5 000 unités par an soit 7 000 unités de moins que ce qui est nécessaire pour combler le déficit annuel de 22 000 unités. L’offre de logements est insuffisante et de qualité moyenne dans les quartiers informels qui concentrent une densité de population très élevée et où le besoin de restructuration et de régularisation foncière est criant. Le taux d’urbanisation s’élève à 49% en 2022, ce qui indique que près de la moitié de la population nationale vit en milieu urbain (8 499 952 habitants). Parmi la population urbanisée, presque 25% vit à Dakar représentant 0,3% du territoire national d’une superficie totale de 196 172 km².

La prolifération des locations de courte durée aggrave cette situation en réduisant l’offre de logements disponibles pour les résidents permanents. Au Sénégal, l’essor des locations de courte durée via des plateformes comme Airbnb et Booking a des conséquences directes sur plusieurs aspects, notamment la crise du logement dans les zones urbaines, les distorsions fiscales et la transformation du secteur immobilier.

1. Impact sur le marché locatif urbain

Concentration à Dakar et dans les zones touristiques 

Les quartiers comme Almadies, Ngor, Yoff, ou Plateau connaissent une prolifération des locations de courte durée. Les propriétaires préfèrent louer aux touristes ou expatriés à des prix journaliers plutôt qu’aux Sénégalais pour des baux longue durée.

Un appartement meublé qui pourrait être loué à un résident sénégalais pour 300 000 FCFA par mois rapporte parfois jusqu’à 20 000 à 50 000 FCFA par nuit sur Airbnb. Cela rend la location classique moins attrayante.

Conséquences pour les habitants locaux 

La disponibilité des logements à louer diminue pour les familles locales, surtout dans les quartiers prisés. Les loyers des logements restants augmentent, excluant de plus en plus de ménages sénégalais qui se retrouvent à chercher en périphérie notamment (Rufisque, Keur Massar, Diamniadio)

2. Prime à la fraude fiscale et pratiques informelles

Faible déclaration des revenus locatifs 

De nombreux propriétaires ne déclarent pas les revenus issus des plateformes. Cela est facilité par le caractère informel de l’économie sénégalaise et le manque de contrôle fiscal sur les transactions numériques.

Pour preuve, un propriétaire qui loue un appartement à Dakar sur Airbnb peut générer 1,5 à 3 millions de FCFA par mois, mais ne verse pas d’impôts ou ne paye qu’une taxe symbolique, échappant ainsi aux obligations fiscales.

Perte pour l’État 

Le Sénégal perd d’importantes recettes fiscales, notamment dans un contexte où la digitalisation du fisc pourrait permettre de mieux traquer ces revenus.

Injustice pour les professionnels 

Les hôtels traditionnels, qui payent des taxes élevées et sont soumis à des réglementations strictes (taxe touristique, TVA, licences), se retrouvent en concurrence directe avec des particuliers opérant dans un cadre souvent non réglementé

3. Transformation des quartiers et inégalités

Gentrification des zones touristiques 

Des quartiers historiques comme Gorée ou Ngor voient les habitants locaux être peu à peu remplacés par des locations pour touristes. Cela change la dynamique sociale et culturelle des quartiers.

Les jeunes familles ou les personnes à revenus modestes sont contraintes de quitter ces zones devenues inaccessibles financièrement. À Saly et Somone, régions touristiques populaires, des maisons initialement construites pour des habitants locaux ou pour des résidents sénégalais aisés sont aujourd’hui presque exclusivement louées aux étrangers via des plateformes. Les locaux sont marginalisés, faute de pouvoir suivre les prix croissants.

4. Initiatives pour réguler la situation

Bien que des solutions existent, leur application reste limitée au Sénégal :

Mise en place de taxes spécifiques 

Une taxe de séjour pour les locations de courte durée pourrait être instaurée pour harmoniser les charges entre hôteliers et loueurs sur les plateformes.

Enregistrement obligatoire des locations 

Chaque propriétaire utilisant Airbnb ou Booking ou toutes autres plateformes pourrait être obligé de déclarer ses biens auprès de la Direction générale des impôts et domaines (DGID).

Partage de données entre plateformes et l’État 

Imposer à ces plateformes de transmettre les informations sur les revenus générés par les utilisateurs au fisc sénégalais.

Limitation des jours de location 

Comme à Paris ou Barcelone, un plafond (ex. 120 jours/an) doit être imposé pour limiter l’usage des logements pour des fins touristiques.

La question de la location de courte durée à Dakar ne peut être traitée de manière simpliste. Elle soulève des enjeux complexes liés à la fois à la crise du logement et à l’intégrité fiscale. Pour garantir un avenir prospère et équitable pour tous, il est essentiel d’adopter des politiques qui concilient les intérêts des résidents, des propriétaires et de l’État. En embrassant l’innovation tout en préservant le bien-être collectif, Dakar peut continuer à rayonner comme une ville d’espoir et de possibilités pour tous ses habitants.

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