Depuis l’origine, l’homme a toujours été lié à son environnement, cherchant à s’adapter à son habitat et à assurer sa survie. L’individu, en tant que membre d’une tribu ou d’une communauté, considérait la terre comme un bien commun appartenant à son groupe. En Afrique noire, la propriété foncière collective prévalait, et les terres étaient contrôlées par les chefs de clan ou les sages, qui en régulaient la distribution. À cette époque, il n’existait pas de propriété individuelle des terres, celles-ci étant transmises de génération en génération à travers la famille ou la tribu.
Cependant, ce système, appelé « communisme primitif », générait de nombreux conflits en raison du manque de règles formelles encadrant la propriété foncière. Au Sénégal, l’accès à la terre variait en fonction de l’appartenance sociale, avec des distinctions entre nobles, castes et esclaves, chacun ayant un accès différent selon les coutumes ancestrales. La terre, bien que non aliénable, était néanmoins transmissible, suivant des règles de succession établies au sein de la communauté.
L’arrivée des colonisateurs européens, notamment à travers la colonisation, a bouleversé cette conception traditionnelle de la terre. Les autorités coloniales ont introduit un cadre juridique visant à institutionnaliser et moderniser la gestion foncière. Le décret du 20 juillet 1900, bien qu’il ne fût jamais appliqué, marqua la première tentative d’organiser l’accès à la propriété foncière dans l’AOF (Afrique Occidentale Française). Ce fut toutefois le décret du 24 juillet 1906 qui introduisit l’immatriculation des terres dans les colonies, marquant une rupture avec les pratiques foncières traditionnelles.
Le décret du 26 juillet 1932 a structuré définitivement le régime de l’immatriculation foncière, encadrant la propriété des particuliers à travers un système de titres fonciers. De plus, le décret du 15 novembre 1935 réglementa les terres vacantes, les attribuant à l’État lorsqu’elles ne faisaient pas l’objet d’un titre de propriété ou d’un droit de jouissance reconnu par le Code civil ou le décret de 1932.
Le Code civil français, introduit en AOF par l’arrêté du 5 novembre 1830, s’appliquait aux colons français ou assimilés. Ce cadre juridique prévoyait l’application du système foncier français pour les transactions immobilières, créant ainsi le premier régime foncier sénégalais, communément appelé « régime du Code civil ». Celui-ci introduisit le système des inscriptions foncières, mettant en place des règles précises pour les transactions immobilières impliquant des Français ou assimilés.
Les principes du droit, tels que définis par Justinien dans les Institutes (I, 1, 1, 3), stipulent : « vivre honnêtement, ne pas léser autrui, rendre à chacun le sien ». Ces préceptes sont à la base des réformes foncières qui ont modernisé et encadré la gestion des terres au Sénégal jusqu’à l’avènement de la Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la Propriété Foncière, qui vient réglementer explicitement la question de l’immatriculation et ses effets.
La question qui nous intéresse aujourd’hui est les « effets de l’immatriculation ».
L’immatriculation fait entrer un immeuble dans le commerce juridique. C’est un procédé qui permet d’être titulaire d’un Droit Réel Immobilier par le biais d’un titre foncier, contrairement aux terres du domaine national où l’on est titulaire d’un Droit d’Usage. L’immatriculation place l’immeuble sous la condition des règles qui régissent le régime de la propriété foncière (voir article 19 de la loi de 2011 portant régime de la propriété foncière). Depuis 2011, seul l’État du Sénégal peut demander l’immatriculation (article 34 loi n° 2008-07 du 30 mars 2008). Ainsi, seules les terres du domaine national peuvent être immatriculées à un nom et plus précisément au nom de l’État.
L’un des principaux effets de l’immatriculation est qu’elle est définitive en raison des principes juridiques qui entourent ce processus, particulièrement au Sénégal. Une fois qu’un bien immobilier est immatriculé et qu’un titre foncier est délivré, ce titre confère un droit de propriété incontestable. Cela signifie que le propriétaire inscrit au registre foncier a un droit définitif et opposable à tous sur la propriété. Aucun tiers ne peut remettre en cause ce titre, sauf en cas de fraude avérée ou d’erreurs graves lors de la procédure d’immatriculation (voir articles 61, 62 et 63 de la loi régissant le régime de la propriété foncière).
L’immatriculation opère aussi l’autorité de la chose jugée, qui est un processus à caractère judiciaire ou administratif qui, une fois accompli, donne lieu à des décisions ou des actes ayant force de loi. En d’autres termes, une fois qu’une décision a été prise et qu’un titre foncier est délivré, celle-ci est considérée comme définitive. Ce principe renforce la stabilité du système foncier et la sécurité juridique des transactions.
L’immatriculation sécurise les transactions immobilières en garantissant la sécurité juridique des droits de propriété. En rendant le titre de propriété définitif, elle permet d’éviter les conflits et les incertitudes, notamment en matière de vente, de succession ou de prêt hypothécaire. Les acheteurs et les institutions financières peuvent ainsi avoir confiance dans la validité du titre foncier (voir article 383 du COCC).
Une fois l’immatriculation effectuée, elle est considérée comme irrévocable, sauf en cas de preuve de fraude ou d’erreur substantielle dans le processus d’attribution. Cela signifie que le titre foncier ne peut être annulé ou modifié rétroactivement, ce qui renforce la stabilité des droits de propriété. La procédure de publicité au niveau du Journal officiel est donc obligatoire.
Les principaux effets de l’immatriculation, en plus de l’attribution d’un titre foncier ou d’un démembrement du droit de propriété, sont les suivants :
1. Loi n° 64-46 du 17 juin 1964 relative au Domaine National
– Cette loi définit le régime du domaine national, qui concerne une grande partie des terres au Sénégal. Elle divise le domaine national en différentes zones (zones urbaines, zones rurales, etc.) et établit les conditions d’attribution et d’usage de ces terres. Le domaine national est la première base de l’immatriculation et son droit d’usage exige une affectation ou une mise en valeur pour pouvoir en disposer légalement. Aujourd’hui, seul l’État peut demander l’immatriculation des terres du Domaine National.
2. Décret n° 64-573 du 30 juillet 1964 portant application de la loi relative au domaine national
– Ce décret complète la loi de 1964 en définissant les modalités pratiques de gestion et d’administration des terres relevant du domaine national.
3. Loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant Régime de la Propriété Foncière
– Cette loi est un texte de référence en matière de régime de propriété foncière au Sénégal. Elle régit l’ensemble des questions liées à la propriété privée et aux droits réels immobiliers.
– Sécurisation juridique de la propriété : L’immatriculation foncière permet à un propriétaire d’obtenir un titre foncier, document légal qui prouve définitivement la propriété. Cela protège contre les litiges, les revendications conflictuelles et les occupations illégales.
– Elle encadre les modalités d’immatriculation foncière, le transfert de propriété, la cession et l’aliénation de biens immobiliers.
– Intangibilité du titre : Le titre foncier confère un droit de propriété inattaquable, opposable à tous, garantissant ainsi une stabilité dans les transactions foncières. Une fois inscrit au registre foncier, le titre ne peut être remis en cause, sauf en cas de fraude prouvée.
– Accès au crédit : Les propriétaires ayant un titre foncier peuvent utiliser leur terre comme garantie pour obtenir des prêts bancaires ou des crédits, ce qui favorise l’accès aux financements pour des investissements.
4. Code Général des Impôts
– Le Code général des impôts au Sénégal contient des dispositions concernant l’enregistrement (les taxes et impôts) relatifs aux transactions immobilières, y compris les droits de mutation lors de l’immatriculation d’un bien.
5. Décret n° 2009-1450 du 30 décembre 2009 portant organisation et fonctionnement du Cadastre
– Ce décret organise le cadastre au Sénégal, définissant les modalités de gestion des informations foncières, des relevés cadastraux et de l’immatriculation des terres.
6.Investissements Immobiliers
– Accroissement de la valeur du bien : Un terrain immatriculé est souvent considéré comme plus précieux, car il offre des garanties solides aux acheteurs potentiels et aux investisseurs, augmentant ainsi sa valeur sur le marché.
– Facilitation des transactions immobilières : L’immatriculation foncière simplifie la vente, la location, ou le transfert de la propriété d’un terrain, en fournissant des preuves claires de propriété. Cela aide à réguler le marché immobilier et à éviter les ventes frauduleuses.
7.Code de la Construction et de l’Habitation
– Ce code régit les conditions de construction et d’urbanisme, incluant les exigences pour les terrains immatriculés dans les zones urbaines.
– Gestion plus efficace des terres : Les autorités publiques peuvent mieux gérer et planifier l’utilisation des terres, notamment pour les infrastructures publiques, les projets de développement ou les services publics, lorsqu’elles savent précisément qui possède quelle parcelle.
8.Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) articles 380 et 383
– Ce code régit les contrats et transactions, y compris ceux relatifs aux transferts de propriété immobilière. Il est souvent invoqué lors de la vente ou de la cession de terrains immatriculés.
9. Loi n° 2017-15 du 20 juillet 2017 sur le Domaine Privé de l’État
– Cette loi encadre la gestion du domaine privé de l’État, y compris les terres immatriculées appartenant à l’État, et régule leur aliénation.
Pathé Ba, Chief Legal Advisor and Partenerships